C’est la complication la plus populaire de l’horlogerie mécanique. Publié dans le supplément „Style“ de la Tribune de Genève, un très intéressant article de Marie de Pimodan-Bugnon retrace près de deux siècles d’histoire du célèbre chronographe.
Tout a commencé par deux petites gouttes d’encre déposées
sur un cadran en émail. La première pour marquer
le début. La seconde pour signifier la fin. Entre les deux,
la mesure d’un intervalle de temps. Nous sommes au début
du XIXe siècle et le domaine des complications horlogères
est loin d’avoir dit son dernier mot quand l’horloger Nicolas
Mathieu Rieussec parvient à chronométrer une série de
compétitions de chevaux organisées sur le Champ-de-Mars, à Paris. Consignée en octobre 1921 par un procès-verbal
de l’Académie royale des sciences, l’invention signe les prémices d’une folle course à la performance. Près de deux siècles plus tard, le chronographe est l’une des complications que toutes les
grandes maisons horlogères maîtrisent et proposent dans leurs collections, pour le plaisir des amateurs de mécaniques de précision. Le chronographe est une montre qui – en plus de donner l’heure – peut mesurer le temps qui s’écoule à partir d’un moment donné, grâce à des
boutons-poussoirs et une ou plusieurs aiguilles supplémentaires.
1969, ANNÉE AUTOMATIQUE
Toujours plus précis, du 1/10e au 1/100e
de seconde, passé au remontage automatique
il y a cinquante ans, équipé d’une
came ou d’une roue à colonnes pour
les plus sophistiqués, monopoussoir
ou à rattrapante, le bien nommé chronographe
compte aujourd’hui parmi
les complications les plus appréciées.
A moins d’être un cuisinier souhaitant
contrôler la cuisson des pâtes au 1/100e
de seconde près, ou un athlète puriste
préférant mesurer son temps de course
mécaniquement plutôt qu’à l’aide d’une
montre GPS connectée, soyons franc, les
fonctions du chronographe ne sont pas
d’une grande utilité au quotidien. Elles
témoignent pourtant d’un savoir-faire
technique parfaitement maîtrisé et d’un
héritage horloger en perpétuelle évolution,
marqué par une accélération ces cinq
dernières décennies avec l’avènement
du chronographe automatique.
Flash-back: 1969, année érotique
d’après Gainsbourg, année du chronographe
automatique selon les horlogers.
A l’époque, plusieurs marques et consortiums
sont en lice pour monter sur la
première marche du podium. Dans les
starting-blocks, d’un côté, Zenith-Movado,
de l’autre, le Chronomatic Group
composé des marques Hamilton-Büren,
Breitling, Heuer et Dubois Dépraz. A des
milliers de kilomètres de là, le japonais
Seiko fait la course en solo. «Tout au
long de l’année 1968, nous avions réussi
à tenir le projet secret et nous étions
conscients que le nouveau Calibre 11
allait remplir l’une des dernières lacunes
dans le monde des mouvements
mécaniques horlogers», se souvient
Jack Heuer, président honoraire de TAG
Heuer. «Cela s’est joué à quelques mois
près», souligne Marc Roethlisberger,
membre de l’équipe marketing de Zenith
de l’époque. Dans un mouchoir de poche,
Zenith dévoile alors le fameux premier
calibre automatique à haute fréquence El
Primero, le chronographe le plus précis
du monde, devenu depuis une véritable
légende de l’horlogerie, et Heuer lance sa montre carrée Carrera équipée du non moins mythique Calibre 11, mouvement
automatique avec micro-rotor. Breitling
décide immédiatement d’équiper sa
Navitimer avec le Calibre 11.
PRÉCISION ET FINESSE
Tout juste cinquante ans plus tard, ces
garde-temps sont toujours de la partie.
TAG Heuer célèbre l’épopée Carrera à
travers cinq séries limitées – une par
décennie – équipées du calibre d’époque.
Zenith fait de l’oeil aux collectionneurs
avec un coffret contenant trois éditions
limitées El Primero A386 Revival, fidèles
à la référence de 1969. Et, pour enfoncer
le clou de la précision, la marque s’illustre
également avec la Defy El Primero Double
Tourbillon, nouvelle interprétation encore
plus complexe du seul chronographe
à haute fréquence capable de mesurer
le centième de seconde via son aiguille
effectuant un tour de cadran par seconde.
Un record à battre…
Si la précision reste un sujet crucial
dans la course aux records, la finesse
s’est aussi récemment imposée comme
un enjeu de taille. Rompu à l’exercice de
l’extra-plat, Bulgari dévoile cette année
l’Octo Finissimo Chronographe GMT
Automatique, le chronographe mécanique
le plus fin à ce jour avec une épaisseur
de seulement 3,3 mm. Une prouesse
technique présentée dans un boîtier
ultra-architecturé et léger comme une
plume, taillé dans le titane. Archétype de
la belle horlogerie de Bulgari, ce chrono
s’inscrit comme «une véritable révolution
du design et de la technologie», selon
Jean-Christophe Babin, PDG de la marque.
Sportif par nature, le chronographe
se décline aussi avec aisance en
livrées plus classiques, féminines ou joaillières. Jaquet Droz en propose une interprétation très épurée avec sa Grande
Seconde Chronograph, une version monopoussoir
centralisant la commande
de la marche, de l’arrêt et de la remise à
zéro du mécanisme. Cartier l’intègre à
sa fameuse Santos, également dans une
version monopoussoir, que l’aviateur
dandy Alberto Santos-Dumont aurait
sans doute trouvée très utile, en 1906,
pour mesurer ses records de vitesse en
vol – 220 mètres en 21 secondes cette
année-là. Etonnamment, Rolex couvre
la reine des circuits automobiles Cosmograph
Daytona d’une nuée de diamants,
Hublot tapisse son chrono Big Bang
Unico de tourmalines Paraïba tandis
qu’Audemars Piguet revisite la Royal Oak
Offshore Chronographe Automatique
dans une version sertie de pierres arcen-
ciel. A croire que le chronographe
contemporain ne se refuse rien.
COMPTEURS ET CRÉATIVITÉ
Longtemps cantonné aux trois compteurs
classiques disposés symétriquement sur le
cadran, le chronographe s’offre également
de nouveaux affichages innovants. Chez
Fabergé, le Visionnaire Chronograph,
développé en collaboration avec Agenhor,
voit les heures et les minutes déplacées à
la périphérie du cadran tandis que la fonction
chronographe en occupe le centre.
Même principe chez Singer Reimagined,
jeune marque lancée par Rob Dickinson,
le fondateur de Singer Vehicle Design et
Marco Borraccino, un designer horloger
italien, tous deux rejoints par Jean-Marc
Wiederrecht d’Agenhor.
Avec le Track1, la marque s’inspire
des belles carrosseries des années 1960-
1970 et «ré-imagine» le chronographe.
Le cadran présente un compteur central
unique tandis que les heures et les
minutes sont reléguées au second plan,
sur le pourtour. Une lecture intuitive
des mesures de temps courts ou longs
dont De Bethune fait aussi une habile
démonstration. Au centre du modèle
DB21 Maxichrono Réédition tournoient
cinq aiguilles montées sur un axe central
et commandées par un monopoussoir.
Là encore, les compteurs ont disparu.
L’expression esthétique est contemporaine,
la technique également. Histoire de
rappeler qu’en matière de complications
horlogères, les compteurs de la créativité
tournent encore.