Polarisation du marché horloger en 2019

Le grand écart se poursuit entre montres de luxe et garde-temps d’entrée de gamme avec, à la clé, une légère hausse de la valeur totale des exportations pour une baisse drastique des volumes. La consolidation du secteur se poursuit au détriment de la sous-traitance.

Si le fossé des inégalités est un des sujets « chauds » du moment, comme on peut s’en rendre compte avec l’agitation sociale qui secoue la France depuis des mois, en horlogerie, on constate pareille dichotomie entre le haut de la pyramide, qui se porte (presque) comme un charme, et la base de l’édifice, dont les fondements se lézardent. Feu Nicolas G. Hayek l’avait d’ailleurs dit à maintes reprises : sans base industrielle solide point de salut pour l’horlogerie suisse. Alors si le sauveur de cette troisième industrie d’exportation helvétique est surtout salué pour le coup de génie de la Swatch, tout aussi importants sont les efforts qu’il a déployés pour conserver un outil industriel digne de ce nom. En sauvant les joyaux de la couronne déchue pour former la SMH en 1983 – le futur Swatch Group -, il portait sur les fonts baptismaux le renouveau de l’horlogerie suisse. Les décennies suivantes allaient lui donner amplement raison.

« Sur les 10 premiers mois 2019, les volumes d’exportation s’inscrivent en diminution de 13,1 % à 17,1 millions d’unités. »

Or aujourd’hui, les préceptes de Nicolas G. Hayek sont mis à mal. Autrement dit, les volumes de production de l’industrie horlogère suisse dans son ensemble sont en constant retrait depuis plus d’une décennie. Si l’on se réfère aux exportations de la branche, les seules statistiques disponibles, on constate en effet une baisse des volumes d’expédition de l’ordre de 8 millions d’unités depuis 2010. Plus précisément, ce sont les montres électroniques à prix d’appel qui sont touchées de plein fouet avec un recul de quelque 11 millions de pièces sur la période, une chute que l’attrait de la montre mécanique n’a pu que partiellement compenser. Cette tendance est encore palpable cette année. Sur les 10 premiers mois 2019, les volumes d’exportation s’inscrivent en diminution de 13,1 % à 17,1 millions d’unités, soit quelque 2,5 millions de montres expédiées en moins. La valeur de ces garde-temps destinés aux marchés internationaux s’est en revanche étoffée de 2,7 % à CHF 16,9 milliards, soutenue uniquement par les pièces haut de gamme.

« Ça cale ! »

Pour le dire simplement, en une dizaine d’années, la production suisse jugée à l’aune des exportations a perdu un tiers de ses volumes (23,7 millions en 2018) mais gagné un tiers en valeur (CHF 19,9 milliards en 2018). Or qui dit baisse des volumes de montres à quartz dit évidemment moins de composants d’habillage et donc moins de travail pour la sous-traitance. « Ça cale, confirme dans la presse suisse Alain Marietta, directeur de Metalem, fabricant de cadrans basé au Locle, Suisse. Nous allons vers le brouillard, et on ne voit aucune haute pression l’année prochaine pour le dissiper. » Ici ou là, on observe déjà les premiers licenciements liés à une conjoncture que d’aucuns jugent véritablement maussade. Mais tel n’est certainement pas l’avis des ténors de la branche, ces compagnies du luxe pour qui le millésime 2019 est un excellent cru. Tant Kering ou Hermès que Richemont ou LVMH connaissent en effet des vents favorables avec des hausses de leur chiffre d’affaires qui avoisinent voire dépassent largement les 10 %, malgré les incertitudes commerciales et les tensions à Hong Kong. Pour preuve, la reprise de Tiffany par LVMH, une transaction à USD 16,2 milliards qui montre bien l’appétit inextinguible des géants du luxe et la concentration du secteur. Une évolution des plus patentes en horlogerie où une quinzaine de marques suisses monopolisent quatre cinquièmes du gâteau mondial de la branche. Des marques qui, hormis Tissot et partiellement Longines – deux marques du Swatch Group -, sont toutes actives dans le segment mécanique haut de gamme.

« Impossible d’ignorer les 28 millions d’Apple Watch écoulées cette année, davantage que tous les horlogers suisses réunis. »

La suite logique de ce constat revient à questionner l’impact des montres intelligentes sur cette évolution de l’horlogerie suisse. On peut certes observer que le recul des volumes de production a commencé avant que les smartwatches deviennent une réalité tangible. Impossible toutefois d’ignorer les 28 millions d’Apple Watch que le géant de Cupertino devrait écouler cette année, selon IDC, soit davantage que tous les horlogers suisses réunis et près de la moitié d’un marché qui entre bien évidemment en concurrence directe avec les montres électroniques proposées dans un même segment de prix. La Haute Horlogerie n’a certainement pas besoin de se faire des cheveux gris. On parle là de produits différents pour des durées de vie incomparables et d’autres vecteurs d’émotion. Les chiffres montrent d’ailleurs clairement que les montres haut de gamme gardent le vent en poupe. Tel n’est plus le cas en descendant dans l’échelle de valeur. Or ces pertes progressives sont en train d’éroder le tissu industriel helvétique. Encore une fois, c’est du côté du Swatch Group que tous les yeux se tournent avec une question pressante : sera-t-il à nouveau le sauveur de l’industrie ?

Par Christophe Roulet sur FHH

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